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 Jihna Anatyr

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MessageSujet: Jihna Anatyr   Jihna Anatyr EmptySam 21 Fév - 14:29

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***



"Je suis sur la route. Oncle Bemehd, je suis sur la route, j'ai suivi ton chemin. Où je vais, je n'en sais rien, la liberté n'a pas de destination. Tu reconnais ces mots, n'est-ce pas ? Ce sont les tiens. Comme à notre habitude, on partait chasser. Père hurlait, toi tu souriais. Et quand je t'ai demandé où nous allions poser nos pièges cette fois-ci, c'est ce que tu as répondu. "Je n'en sais rien, la liberté n'a pas de destination". J'avais à peine dix ans, et grâce à toi, je les ai toujours, au grand dam de père. Je pense qu'il ne te pardonnera jamais.
Je revois toutes ces fois où on rentrait tous les deux, affichant un sourire de bienheureux, nos prises à la main. Père hurlait, toi tu souriais. Ensuite, il venait vers moi, et il hurlait.  Il refusait de voir sa fille ne pas devenir celle de ses ambitions. Mais à chaque fois, on retournait placer nos appâts. On attendait en discutant, puis on revenait à la maison à la tombée de la nuit, les bras plein de gibier, fiers comme des paons et riant comme des bêtas.
Tu te souviens comment tout ça s'est terminé ? Lorsque Père t'a demandé d'arrêter de voler sa fille, et de disparaître ? Lorsque ma vie est devenue un enfer de dentelle et de velours.
Après chaque soirée mondaine, où Père me présentait à des hordes de jeunes nobles, où je suffoquais, emballée dans des robes aussi grotesques qu'inconfortables, j'essayais de lui dire que je ne voulais pas de cette vie. Que je n'étais pas un paquet cadeau que l'on peut offrir à n'importe quel prétendant. Il ne m'écoutait pas. Il couvrait mes mots par ses cris. Il couvrait ses craintes par les miennes. Alors je faisais mine de courber l'échine, attendant que la maison s'endorme pour savourer un peu la liberté qui me ferait tenir un jour de plus. J'enfilais un vieux pantalon crasseux et seyant, et je sortais crapahuter dans les bois où nous chassions. La nuit devint peu à peu synonyme de mon refuge, et je redoutais chaque nouveau soleil, promesse d'une énième journée au sein de la cour.
J'exécrais leur présence, leur façon d'être. Ou plutôt de ne pas être. Ils se sont donnés des titres, des rôles, et des masques. A tel point qu'ils ne savent plus vivre sans. Pire, rien qu'à cette idée, ils tremblent sous leurs vêtements de soie. Ils sont des poupées qui jouent dans un monde de porcelaine, fragile et artificiel. Dans cette société, j'étais la chose incomprise, la bête de foire qui suscitait la méfiance et la curiosité. Mais j'ai supporté tout cela. Parce qu'à chaque fois que tu partais en voyage, tu revenais. Et tu avais toujours des milliers d'histoires à raconter.

C'est Père qui m'a appris ton retour. "Ton oncle Bemehd est mort.". Ce furent ses seuls mots. J'ignore toujours ce qu'il ressentait à ce moment-là. Tu étais revenu calme et souriant, comme d'habitude. Mais cette fois-ci, tu ne n'es pas arrêté pour contempler les lys de l'allée. Dans ton cercueil en bois d'if, tu attendais nos adieux et nos pleurs avant de partir définitivement. Je te reconnais bien là. Revenir en partant. Partir en revenant. Tu adorais les paradoxes, rien te t'amusais autant.
Et maintenant, je suis sur la route. J'ai quitté le monde de porcelaine pendant une nuit d'été, et je marche pour découvrir le monde. A chaque pas qui m'éloignent du Promontoire, tes histoires me rapprochent de toi et de ma liberté."



Lettre retrouvée sur la tombe de Bemehd Anatyr, noble d'origine élonienne au Promontoire Divin


Dernière édition par Una Randelor le Jeu 20 Aoû - 17:22, édité 2 fois
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MessageSujet: Re: Jihna Anatyr   Jihna Anatyr EmptySam 14 Mar - 12:32

Fuir. Non pas pour se cacher, mais pour commencer à vivre, pour emprunter les chemins que l’on a choisis. Telle est la véritable nature du voyage, une éternelle fuite vers la liberté. Le Promontoire était une prison, tout comme le sera chaque endroit où je m’éterniserai trop. Y retournerais-je un jour ? Certainement pas de mon plein gré. J’ai laissé cette cage dorée derrière moi au moment où j’ai franchi le portail vers l’Arche du Lion, sans même accorder un regard en arrière.
Mon voyage commença à Rata Sum pour plusieurs raisons. Personne ne s’attendait à ce que j’aille là-bas, et pour cause, je ne portais pas les asuras dans mon estime. Mais cette opinion était fondée sur des « on dit », et je tenais à vérifier les nombreuses rumeurs entendues à leur propos. Je voulais également voir comment des êtres issus des profondeurs de la terre avaient su s’adapter à la vie en surface. Enfin, je pouvais aisément rejoindre la capitale via le portail à l’Arche.

La plupart du temps, les aristocrates font des stéréotypes une vérité générale. Ils discutent et se disputent autour de nombreux sujets, chacun se vantant de ses prétendues recherches acquises dans des livres aussi lourds que des jeunes nobliaux jouant les séducteurs à un bal costumé. Oncle Bemehd méprisait ces savants autoproclamés. Selon lui, les stéréotypes ne sont que l’interprétation d’une observation superficielle, et par conséquent, faussée. Après mon séjour dans la Province de Metrica, je ne partage plus cet avis. Les stéréotypes sont les reflets d’une idéologie ou d’une culture, déformée par le passage de la théorie à la pratique. En ce qui concerne les asuras, leur soif de connaissance et de maîtrise sur leur environnement, leur volonté de tout comprendre, et leur besoin de toujours surpasser l’autre, se sont mués en une perception de la vie et du monde purement scientifique. De ce fait, ils écartent inconsciemment et automatiquement toute autre approche. Selon eux, tout doit être fait au nom de la science, qu’ils affirment être les seuls à comprendre réellement. C’est de cette manière qu’ils justifient les expériences horribles et barbares qu’ils font sur des êtres vivants jugés inférieurs à eux, quand ils ne risquent pas de provoquer un séisme alors qu’ils recherchent une nouvelle forme d’énergie.
Tous les asuras ne sont pas ainsi, mais la minorité qui refuse cette idéologie fanatique et maladive se cache afin d’éviter l’ire et le mépris de l’écrasante majorité. J’ai eu en effet l’occasion de croiser la route d’une jeune asura, s’abritant dans une grotte à l’abri des regards, afin d’élever des lapins tranquillement, et non de leur faire subir de cruelles expériences.
Cependant, ce n’est pas pour ces raisons que je déteste les asuras.

Pas un jour ne passe sans que je ne revoies la scène. Mon épée décrit un arc de cercle sanglant dans les airs. Le coup ne se voulait pas fatal, mais dans le feu du combat, ma lame a mordu trop profondément la chair. L’hylek me fixe du regard. Ses grands yeux écarquillés révèlent la surprise et l’incompréhension, une plaie béante fend sa poitrine. Il s’effondre.
J’appris plus tard par un pacificateur que l’Enqueste développait un poison hallucinogène, et se servait des hyleks comme cobayes pour le tester et le perfectionner. Celui qui m’avait attaqué était sous l’emprise de ce poison.
Le laboratoire de l’Enqueste fut découvert quelques temps après. En sous-effectif, les pacificateurs offrirent une récompense pour quiconque les aiderait à le détruire. Je décidai de me joindre à eux sans hésiter, puis d’autres  mercenaires vinrent renforcer notre groupe déjà conséquent. Notre assaut balaya toute forme de résistance, les rares prisonniers furent passés au fil de l’épée sur ordre des pacificateurs. Malgré mon mépris envers les asuras, je regrette parfois mes actes. Aveuglée par la colère, j’ai appliqué la sentence sans poser de question, et... en y prenant plaisir. En y repensant, cela m’effraie... Ce fut ma première collaboration avec les pacificateurs. Et la dernière. Nous devions détruire les recherches de l’Enqueste et le poison qu’ils avaient créés. Mais le chef des pacificateurs récupéra les données avant de mettre à sac le laboratoire, en argumentant que l’arme de l’Enqueste pouvait toujours s’avérer utile. Cela ne me plaisait pas, mais ma colère s’était évanouie en même temps que le dernier chercheur de l’Enqueste rendait l’âme.

Quelques jours plus tard, alors que je m’approchais d’un bâtiment, j’aperçus des skritts en captivité. Autour d’eux s’agitaient plusieurs asuras, branchant divers appareils sur les skritts ou leur injectant d’étranges substances dans le bras. J’étais persuadée qu’il s’agissait de l’Enqueste, mais en observant plus attentivement, je réalisai mon erreur. Il n’existe aucune différence entre l’Enqueste et les coteries de Rata Sum. Toutes effectuent leurs expériences loufoques et dangereuses sur des sujets non volontaires, en prétendant œuvrer pour la science. A ceci près que l’Enqueste assume ouvertement ses crimes, se moquant bien de l’avis des autres. Tandis que les coteries de Rata Sum font preuve de l’hypocrisie la plus totale, laissant faire le sale boulot et les recherches les plus malsaines à l’Enqueste, tout en la condamnant. Et lorsque celles-ci arrivent à leur terme, ils les récupèrent en répandant le sang, et en se présentant comme les sauveurs de la Tyrie pour avoir réduit à néant les projets de l’Enqueste. Pour tout cela, je déteste les asuras.
Maudit soit le jour où ces lutins ont connu la lumière du jour.
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MessageSujet: Re: Jihna Anatyr   Jihna Anatyr EmptyMer 8 Juil - 13:34

Parfois, même les châteaux avec les plus hautes murailles, avec les plus grosses armes de siège, demeurent incapables de nous apporter la sécurité à laquelle nous aspirons. En fait c'est même l'inverse. Ce sont des prisons dans laquelle on accepte nous-même de s'enfermer. Trop terrifiés que nous sommes de baisser notre garde et de rencontrer le monde, de le laisser venir à nous. Alors on s’emmure, derrière des remparts toujours plus épais, toujours plus vulnérables.

Je ne suis pas militaire, je ne suis pas architecte. Mais ce n'est ni ses tours, ni ses canons, qui mettront l'Arche hors de danger. Tout au plus ces défenses apportent-elles une illusion de protection à ses habitants. Ma discussion avec ce Caldari me l'a confirmé une nouvelle fois. Je peux comprendre cela, mais en réalité, je pense que la seule défense efficace est celle que l'on ne peut pas voir, que l'on ne soupçonne pas, et contre laquelle toutes les armes du monde ne peuvent rien. Car une arme ne peut combattre que des armes. Je repense à mes amis du Marais Michéen. J'ai été étonnée de voir comment ils arrivaient à se défendre. Ils ne s'encombrent pas de murailles de pierre blanche, ni de canons menaçant le ciel. Ils tirent parti de leur environnement, et ils comptent sur eux-mêmes, sur leurs propres capacités martiales. Oh bien sûr, ils subissent des attaques des tribus rivales, ou même des kraits, mais ils parviennent toujours à les repousser, usant de pièges, tendant des embuscades dans un terrain qui est le leur et qu'ils connaissent. Hormis ces adversaires, qui tente de leur nuire ? Personne. Parce que leur marécage est leur principale défense. C'est un mur d'enceinte invisible et bien plus redoutable qu'une tour hérissée de canons. Sans compter que ce n'est pas un endroit qui peut attirer les convoitises.

Toutefois, cette défense n'est pas infaillible. Mais elle ne demande aucun effort pour être dressée, et bien plus à l'ennemi qu'une enceinte, aussi imposante soit-elle, pour la faire tomber. Je ne suis pas dupe. Toutes les défenses ont leurs limites. Et elles possèdent toutes la même. Que ce soient les humains, les charrs ou même les hyleks, tous répugnent à quitter leurs terres, tous s'enracinent profondément sur un morceau de territoire, même lorsque leur fin est proche. Et lorsque cette fin arrive, les racines deviennent des tombes. J'en suis persuadée, l'ultime défense est de ne pas avoir de racines. Certes, on peut avoir un "pied à terre", un endroit où on aime venir se reposer. Mais dès l'instant que l'on revendiquera une terre comme étant la notre, il y aura un risque que l'on vienne nous l'arracher. La famille de Caldari, comme la mienne, ont toutes deux dû fuir leur terre d'origine pour s'implanter autre part. Toutes deux clament à qui veut l'entendre que ce fut humiliant. Toutes deux s'enferment dans leur orgueil blessé, dans le fait d'avoir dû fuir pour rester en vie. Il n'y a que les morts qui peuvent se vanter de ne pas avoir fui. A croire que nos familles aurait préféré mourir plutôt que fuir. Et pourtant... elles ont fui. Alors dans leur orgueil, elles refusent de l'admettre, et accusent les autres d'en être responsables. Dans le cas de Caldari, ce sont les Charrs. C'est toujours plus simple de rejeter la faute de nos malheurs sur les autres. En ce qui me concerne, j'ai accusé Père. Jusqu'au jour où j'ai décidé et accepté de fuir. Et quitter les murs du Promontoire, qui se vantent de leur hauteur protectrice n'a fait que me libérer et m'apporter la sécurité que je souhaitais. On ne peut être en sécurité que si l'on compte sur soi-même.


Certes, la nouvelle Arche est belle, si l'on excepte ces statues ignobles évoquant des crustacés. Mais je ne m'y attarderai pas. Si Rosae et Eldrimar se repartent pas d'ici la fin de semaine, je retournerai au Marais Michéen pour saluer mes amis.
Qui l'eut cru ? Mes amis les plus proches ne sont pas des humains, mais des hyleks. Après l'attaque contre le laboratoire de l'Enqueste, j'étais couverte de sang. La nausée me prenait, et la chaleur étouffante de la jungle n'arrangerait rien. Heureusement, une rivière coulait non loin, idéal pour se nettoyer et se rafraîchir. En ressortant de l'eau, les bruits d'une bataille me firent me retourner vers l'autre rive. J'aperçus une dizaine de kraits surgir des flots pour attaquer des créatures à l'apparence de grenouilles géantes. Je connaissais la réputation des kraits grâce à de nombreux ouvrages, et je ne pus que constater leur véracité. Mon arc était à portée de main, et je ne pus me résoudre à rester passive. Sans compter que les kraits m'avaient également repérés. Je distinguais en effet une silhouette serpentine glisser sous l'eau dans ma direction. Je fis quelques pas pour m'éloigner de la berge et préparai mon arc. Il était inutile de commencer à tirer. Il valait mieux attendre que le krait sorte de l'eau. A ce moment il serait plus facile de le toucher. Dans un bruit sec, ma flèche alla se ficher dans le poitrail de la créature. Bien que la pointe ressortit dans son dos, cela ne l'arrêta pas. Il fonça sur moi dans un sifflement. J'eus le temps de ramasser une poignée de sable et de lui lancer au visage. Dans sa rage, le krait ne vit pas venir le coup, et siffla de plus belle alors que le sable l'aveuglait. Je profitai de ce court instant pour dégainer mon poignard. Dans un hurlement plus destiné à me donner du courage qu'à l'effrayer, je m'élançais. D'une main, je saisis le bras armé de mon adversaire, de l'autre, je transperçai la mâchoire inférieure de la bête. Les trente centimètres d'acier de mon arme ressortirent au sommet de son crâne. Le serpent eut un soubresaut, puis s'effondra. Sans perdre un instant, je repris mon arc et libérai une pluie de flèches en direction des kraits sur l'autre rive. Je touchai plusieurs fois, et éliminai un autre adversaire. De leur côté les hyleks déclenchaient une série de pièges, qui vinrent décimer leurs ennemis. Les rares survivants s'enfuirent sans demander leurs restes.
L'instant d'après, deux hyleks armés de lances me rejoignaient. Méfiants, mais pas belliqueux, ils m'amenèrent à leur chef. Celui-ci parlait suffisamment bien ma langue pour qu'on puisse se comprendre.
" - Moi, chef Xoctic. Vous, humain. Vous nous avez aidé.
Je restais silencieuse, hochant simplement la tête.
- Quoi vous voulez pour récompense ?
- Je ne veux rien. J'étais en danger également. Si vos guerriers n'avaient pas été là, ces kraits m'auraient attaquée, et je n'aurais pas pu faire grand chose seule.
- Les kraits nous combattons souvent. Nous et eux ennemis.
- Les kraits sont les ennemis d'un peu tout le monde.
- Nous devons vous remercier. Vous nous avez aidé.
- Mais je ne veux rien.
- Vous rester ici avec nous. Pour célébrer amitié.
Je haussai les épaules.
- Ma foi, pourquoi pas ? On ne m'attend nulle part."

Je suis restée une semaine parmi eux. Les kraits retentèrent un assaut au cours duquel ils furent véritablement massacrés. Grâce à leurs pièges ingénieux, aucun hylek ne perdit la vie. En revanche, une tribu d'hylek rivale tenta un raid pour voler des provisions, et quatre villageois perdirent la vie. Je pus également constater que les hyleks du Marais Michéen n'appréciaient guère les asuras, même s'il y a des échanges entre eux. Lorsque j'informai le chef que je comptais quitter Metrica sans être vue, il ne posa aucune question, et ordonna à deux guerriers de me guider et de me protéger. On remonta vers le nord en longeant la rivière, avant d'arriver à l'entrée des Terres de Brisban. Je remerciai les deux guerriers, et l'un deux me tendit une fiole remplie d'un liquide jaunâtre et gluant. J'acceptai le cadeau, même si je n'aimais pas empoisonner mes armes. Puis les hyleks firent demi-tour tranquillement, à leur manière. Je commençais à peine mon périple, et j'avais déjà vécu des choses inoubliables. Mais personne à qui les raconter.
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MessageSujet: Re: Jihna Anatyr   Jihna Anatyr EmptyDim 20 Sep - 11:23

C’est un fait à dater, aujourd’hui, Père a perdu patience. A cet instant précis, il a également perdu la raison. Je ne saurais dire si je suis surprise, consternée ou effrayée. D’une certaine façon, je savais que cela arriverait, et c’est en soi assez surprenant qu’il ait attendu aussi longtemps avant de déclarer la chasse ouverte. Car c’est bien de ce qu’il s’agit. D’une chasse pour me retrouver, d’une chasse à l'homme. En commettant une chose aussi insensée, il m’a prouvée à quel point il n’a jamais été mon père. Son acte n’avait qu’un seul objectif : m’obliger à rentrer au Promontoire pour fuir les meutes de chasseurs de primes et autres tarés. En d’autres termes, il souhaite me voir à genoux, le suppliant de me pardonner et de m’offrir refuge dans la même maison que j’ai abandonnée. Et pour cela, il a simplement et complètement ignoré les risques qu’il pourrait me faire encourir. Selon lui, tous les moyens sont bons pour me faire rentrer. A présent, un nouveau choix s’offre à moi : accepter une vie de porcelaine et vivre en sûreté, ou continuer à vivre tel que je l’entends au mépris de ce qui m’attend... Ainsi soit-il.

***

Je ne comptais pas m’attarder à l’Arche, le risque d’être reconnue ici était trop grand. Néanmoins, je devais me ravitailler avant de reprendre la route. J’allais donc au marché indépendant, l’œil plus méfiant que jamais, et prêtant attention à la moindre conversation autour de moi. Curieusement, les gens semblaient davantage intéressés par la sanction que subirait l’auteur des affiches que par la cible de celles-ci. Père, en tant que noble, se pensait au-dessus des lois et n’avait même pas daigné demander l’autorisation du Conseil pour placarder ses avis de recherche. Je souris en imaginant la somme qu’il aurait à débourser pour payer une amende, qui ne manquerait pas d’être élevée. Mais mon sourire s’effaça vite lorsque je remarquai un groupe de cinq hommes me fixant du regard, une affiche à la main. Il était temps de partir, j’avais l’essentiel de mes provisions. Avec un peu de chance, la foule me permettrait de quitter le marché discrètement.
Afin d’amener mes éventuels poursuivants sur une mauvaise piste, je me dirigeais vers la Terrasse de la Grue Blanche. Après un bref regard en arrière, je lâchais un soupir de soulagement. Je n’étais pas suivie. Ce moment d’inattention suffit à bousculer un marchand de poissons, et le contenu de son panier se renversa sur le sol poussiéreux. Il poussa un juron, que j’essayais tant bien que mal de couvrir avec un flot d’excuses ininterrompu. Finalement, quelques pièces d’argent de dédommagement furent plus efficaces. Le silence est d’or, comme on dit. Mais le mal était fait, trois des cinq balourds qui me lorgnaient venaient vers moi sans se presser, l’air de rien. J’hâtais le pas vers le Quartier du Commodore, bien décidée à les semer définitivement.

Ils ne me lâchaient pas. Pire, ils furent peu de temps après rejoints par le poissonnier. S’apercevant que je le regardais, il me fit un grand sourire en agitant sa bourse, alourdie par mes propres pièces. Trop distraite par ce geste, je ne vis venir qu’au dernier moment les deux autres hommes qui m’avaient repérée dans le marché. Ma situation devenait critique, quatre chasseurs de primes me suivaient, et deux arrivaient en face de moi. Ils appliquaient la même méthode qu’à la chasse. Un premier groupe jouait les rabatteurs et se chargeait d’amener la proie vers le deuxième. Je n’avais pas affaire à des amateurs. Sans réfléchir, je me mis à courir vers l’une des maisons en forme de bateau. Arrivée en haut de la rampe, je dégainai mon arc et me plaçai en joue. Les six chasseurs de primes étaient en bas.
« Un pas de plus et vous êtes morts ! »
Ils s’esclaffèrent.
- Allons fillette... ne rends pas les choses plus difficiles pour toi, tu sais tu...
Je ne le laissai pas finir. Ma flèche partit en sifflant et s’arrêta dans une jambe.
- Aaaaahhh !!! la garce ! Chopez-la !
Je tirai un deuxième projectile, qui termina sa course dans une orbite. Un mort, un blessé. Les quatre autres étaient trop proches pour une troisième flèche. Je saisis la fiole de poison offerte par les hyleks, et je la lançai au visage de l’un d’entre eux. Elle explosa dans un mélange de verre et de liquide. L’homme hurla de douleur et tomba de la rampe. Il finit sa chute cinq mètres plus bas en convulsant. Le poissonnier se jeta sur moi, et me plaqua au sol. Surprise, je ne réussis pas à esquiver ses premiers coups de poings. Il portait une chevalière en argent qui m’éclata une pommette. Je reçu une autre droite dans la mâchoire, me fendant ainsi la lèvre inférieure. Un peu sonnée, je ripostai tout de même d’un coup de genou dans l’entrejambe. Il grimaça, et relâcha son emprise. Je profitai de l’occasion pour sortir mon poignard et le frapper à plusieurs reprises. Ses deux acolytes eurent un instant d’hésitation.
« Toi... on va pas te faire de cadeau...
- Ouais, reprit son collègue avec un sourire mauvais, crois-moi, tu vas tâter de notre dard. »
Pour toute réponse, je me relevai en crachant un peu de sang. Ils étaient arrivés en haut de la rampe, et pouvaient maintenant m’attaquer tous les deux en même temps. Je m’enfuis dans les couloirs faits de caisses et de barriques, cherchant à les séparer. Bien mal m’en pris. Je me retrouvai acculée, coincée entre les deux chasseurs de primes et la rue, une quinzaine de mètres plus bas. Sauter équivalait à faire une chute mortelle. Ils s’approchèrent, plus confiants qu’auparavant.
« Eh voilà... t’es coincée ma jolie. Tu vas payer pour ce que t’as fait à nos amis.
- Voyez les choses autrement, vos parts de la récompense seront plus importantes.
- Ah, c’est qu’elle est pas bête la petite.
- Ecoutez, si c’est de l’or que vous voulez, je peux vous en donner, et après, vous me laissez tranquille.
- Oh, quelle générosité... mais tu nous prends pour des mendiants ? Tu sais combien nous a proposé ton papa ? Il insista bien sur ce dernier mot.
- J’imagine que tout s’achète. »
J’achevais ma phrase avec une première attaque, parée aisément. S’ensuivit un bal de lames au milieu duquel nous étions les danseurs. Grâce à l’entraînement reçu par Oncle Bemehd, je parvenais à garder mes adversaires à distance, mais sans réussir à prendre l’avantage. Soudain l'un des deux fit une erreur. Il tenta une frappe large, qui força son collègue à se reculer. J’esquivai sans peine, et portai un coup d’estoc avec mon épée. La pointe s’enfonça d’une dizaine de centimètres dans sa poitrine. Le combat s’arrêta un instant. Il grogna sous l’effet de la douleur. Puis dans un râle, il glissa au sol, un filet de sang s’écoulant lentement de sa bouche. Son ami poussa une injure en s’élançant vers moi. L’assaut était grossier et je n’eu aucune peine à le parer. D’un geste fluide, je vins taillader son bras d’arme. Il lâcha son épée dans un hoquet de surprise et de douleur, tandis que la pointe de ma rapière alla se poser sur sa pomme d’Adam. Il se tenait dos à la rue, et je le forçai à reculer davantage. Entre deux respirations haletantes, je pris la parole.
« C’est fini. Tu choisis quoi ? Le grand saut ou ma lame ?
- D’accord, d’accord ! T’as gagné !
- C’est une évidence.
J’appuyai encore sur mon arme. Une goutte de sang perla sur la gorge du chasseur de primes tandis qu’il grimaçait de douleur. Je repris d’un ton froid.
- Saute.
- Je me rends, c’est bon !
- Saute.
J’augmentai la pression.
- Saute. Ou je te finis ici et maintenant.
- Attends, attends ! On peut s’arranger ! Je peux dire à ton père que...
Sa voix était cassée par la peur et la douleur. J’enfonçais mon épée doucement, provoquant un gargouillis immonde alors que sa gorge se remplissait de sang.
- Oh mais attends... n’est-ce pas toi qui parlait de me faire tâter de ton dard ? Que penses-tu du mien ?
Sa tentative de réponse fut couverte par un borborygme écœurant. Maintenant, l’extrémité de ma rapière sortait de sa nuque. Il vivait ses derniers instants, et je savourais chacun d’eux.  J’approchais mon visage pour lui susurrer à l’oreille d’un ton cajoleur.
- Peux-tu répéter ? Je n’ai pas compris. »
Nouveau borborygme.
Puis je sentis le corps sans vie s’effondrer, bien que toujours suspendu au bout de ma lame.

Le temps semblait s’être arrêté. Les badauds attirés par le bruit du combat fixaient silencieusement la scène. Je retirai nonchalamment mon arme du cadavre. Il bascula à la renverse et retomba en bas de la rue dans un bruit sourd. Jamais je ne m’étais sentie aussi calme. Puis ce fut la débandade. Les passants hurlèrent au meurtre, un appel à la garde retentit.


Dernière édition par Una Randelor le Lun 21 Sep - 18:34, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Jihna Anatyr   Jihna Anatyr EmptyLun 21 Sep - 18:31



Regarde ce que je suis devenue.
Lorsque je me regarde dans un miroir, je ne me reconnais pas. Toi, le pourrais-tu ? Le voudrais-tu ?
Il y a peu, j'étais tout au plus une fugitive. Maintenant, je suis une hors-la-loi, une meurtrière.
Pourrais-tu comprendre ? Pourrais-tu me pardonner ?


***

Alors que le clapotis des vagues sur la coque tente vainement de m'apaiser, je ne cesse de repenser à cette journée. Ce n'est pas la première fois que j'ôtais la vie. Petite, je chassais avec Oncle Bemehd. A l'arc ou en posant des collets, je tuais. Il y a quelques mois, j'ai combattu l'Enqueste. Au combat ou en exécutant les prisonniers, j'ai tué. Et si à chaque fois, j'ai éprouvé un certain remord, jamais il n'a été aussi fort qu'en ce moment. J'ai tué des humains, ma propre espèce. J'essaie de me justifier en prétendant qu'il n'existait pas d'autre solution, mais je sais que c'est faux. Tout comme j'ai retenu mon geste contre la brute devant la grotte, j'aurais pu épargner le chasseur de primes lorsque je le tenais en joue. Si je peux prêcher la légitime défense pour ceux que j'ai mis à terre en premier, la justice tyrienne ne m'accordera jamais cette excuse pour cette exécution sommaire.

La fuite était donc la seule option possible. Mais parmi les témoins présents, il y a Nili. La seule personne assez folle dans l'assemblée de badauds pour me féliciter de mon acte. Pire, elle m'a aidé à m'enfuir, risquant ainsi d'être recherchée elle aussi. Il est vrai que c'est un capitaine pirate, donc j'imagine que ça ne doit pas faire trop de différence pour elle.
Quoiqu'il en soit, après notre cavale à travers le Quartier Ouest et la plage, d'autres chasseurs de primes ont tenté de m'arrêter. Et Nili a récolté une vilaine balafre en prenant mon parti. Je ne peux m'empêcher de me sentir redevable pour cela.

Finalement, après un plongeon d'une bonne vingtaine de mètres, me voilà sur son bateau. J'avoue ne pas m'être posée trop de questions sur le moment, mais tout ce que je sais à propos des pirates vient des fictions, que ce soit les ragots de bonne femme ou les romans. La plupart du temps, on les considère comme des pillards assoiffés de sang. Plus rarement, on les voit comme des héros romantiques luttant pour rester libres.
Est-ce cela le prix de la liberté ?
Si je dois être marginalisée par une société à laquelle je refuse de me plier pour tracer ma propre route, alors j'accepte de payer ce prix.
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